L’envol est un thriller surnaturel, certes, mais comme toujours chez moi, il flirt avec la science. Mise en bouche avec le prologue :
Prologue
-1 milliard d’années
Un silence absolu règne. L’étoile proche irradie les chaleureux 6 000 °C de sa surface dans l’espace environnant. Le cosmos n’est pas toujours l’étendue sombre et glacée que notre culture populaire nous inculque. L’amas nébuleux dont l’astre flamboyant est issu tend ses piliers de gaz et de particules vers l’infini, longs tentacules absinthe et orangé, dressés vers une autre nébuleuse comme un défi, ou un appel muet à le rejoindre pour briser sa solitude sans fin.
Tout est figé. Les contrastes sont absolus. Les étoiles piquettent le rideau noir profond de leurs lumières aussi variées en couleurs qu’en intensités. Deux galaxies en spirale découpent leurs silhouettes au loin. Leurs bras s’effleurent, immobiles en apparence malgré la rotation lente et immuable qui les animent et les rapproche sans cesse jusqu’à l’embrassade finale, la collision ultime. Mais le choc n’est pas pour aujourd’hui, pas avant deux ou trois milliards d’années.
Pour le moment tout est calme, paisible, cristallisé. Pas un mouvement, pas un bruit. Un simple tableau hors du temps, sans peintre ni chevalet. Presque une photo si les légers remous du plasma rouge de la couronne stellaire n’accentuaient pas encore l’immobilité absolue de tout reste. Comme si le seul être vivant aux alentours fût justement ce soleil. Et toujours le silence.
Pourtant, derrière cette sérénité apparente, le pire se trame depuis quelques années déjà. L’équilibre parfait qui maintient toute étoile, entre pesanteur et pression, implosion et explosion, touche à sa fin. Le cœur de l’astre digère ses ultimes particules d’hydrogène. Dans quelques secondes, la fusion thermonucléaire, seule garante de plusieurs millions d’années d’une osmose consommée, s’éteindra faute de carburant. La force de gravitation va gagner cette bataille, comme toujours.
Cet arrêt brutal équivaut à bloquer une barre à mine entre les rayons d’un vélo lancé à pleine vitesse ou à dresser un mur au bout de la dernière ligne droite d’un grand prix de formule 1. À l’échelon de cette étoile, c’est la mort assurée…
Elle est pourtant jeune. Mais les soleils de cette taille vivent toujours dans la démesure, brûlant de tout leur feu à une vitesse folle, jusqu’à leur fin inévitable et éblouissante.
Peu de choses sont instantanées sur l’échelle temporelle du cosmos, mais une explosion hypernova est l’un de ces rares moments. Le cœur soudain privé de son élément premier se rétracte en moins d’une seconde à une portion infime de sa majesté initiale. Il devient si dense qu’une cuillère à café de sa composition pèse plus lourd qu’un Gratte-ciel de Wall Street avec tous ses occupants.
Une simple ondulation de la surface rubis mouvante trahit un instant le changement drastique qui vient de s’opérer en son centre.
Puis tout à coup, dans un silence toujours absolu, l’apocalypse se déchaîne.
Le rouge sang de l’étoile tourne au bleu électrique. La couronne se marbre de l’azur le plus sombre au blanc le plus étincelant. Le noyau cannibalise tous les composants de l’astre, le rongeant de l’intérieur dans un dernier sursaut. Les forces magnétiques, la friction et la température atteignent des seuils que seules les premières secondes du big bang ou d’autres hypernovæ ont pu égaler. Mais le cœur est trop gourmand. Il ingurgite trop et trop vite. Il s’étouffe, régurgite le surplus en deux énormes jets énergétiques qui jaillissent de chaque hémisphère de l’étoile. Cette dernière semble se contracter, hésiter, puis explose tout d’un coup en des gerbes intenses rouge et fuchsia. À sa place : un trou noir.
Les deux expulsions de particules primordiales, des sursauts de rayons gamma, poursuivent leur voyage dans des directions opposées à une vitesse équivalant à celle de la lumière. Le premier file en ligne droite, d’une telle puissance et d’une telle énergie qu’il peut anéantir n’importe quel système solaire au complet sur son passage. Mais l’univers est vaste, et dans sa grande majorité vide. Le sursaut gamma se tarit rapidement, en quelques minutes à peine, et sans avoir rencontré le moindre obstacle. Propulsés par son élan, d’autres rayonnements poursuivent néanmoins leur route, inlassables, leur vitesse vertigineuse et leur cap inchangés. Ils parcourent des constellations, tracent leur voie au creux des nébuleuses, au travers des courants galactiques. Un long voyage de quatre cents millions d’années avant que ce flux invisible aborde un système solaire stable et pénètre le ciel bleu d’une jeune planète. Le choc est indétectable, et cependant d’une violence inouïe. Des neutrinos s’éparpillent dans l’atmosphère, des particules stellaires s’ionisent, des atomes s’accélèrent. Pas d’explosion, pas un bruit, juste quelques aurores boréales particulièrement intenses. Et pourtant les changements s’avèrent drastiques, la fin du monde vient frapper la majorité des habitants du moment sur la Terre. Toute forme de vie y est à jamais bouleversée.
Sous l’impulsion des résidus d’une hypernova vieille de près d’un demi-milliard d’années, les molécules et bactéries terrestres mutent, leurs cellules s’associent en schémas plus complexes et ouvrent la voie de l’évolution. Pendant ce temps, aux confins du cosmos, l’astre géniteur continue son cycle.
Le trou noir supermassif contient toujours les éléments de base de son étoile, les premiers qu’il a absorbés pendant sa genèse. Depuis il s’est nourri de tous les débris que l’explosion a provoqués autour d’elle. Son irrésistible force de gravitation a déplacé des champs stellaires entiers, mettant à sa portée gaz, particules et soleils naissants de la nébuleuse la plus proche, dont il s’est gavé. Mais aussi puissant et monstrueux devient-il, lui aussi finira par perdre, comme son étoile avant lui. Peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, peut-être seulement dans deux cents millions d’années, mais un jour il succombera. Un jour il transcendera son état. Un jour de nouveaux jets d’énergies phénoménaux jailliront de cet endroit, un jour ils emprunteront le même chemin, un jour…